Dans cette vaste cacophonie qu’est le débat actuel sur le changement ou pas de la Constitution, nous pouvons tirer un certain nombre d’enseignements :
La première est que dans le débat guinéen actuel, il ne s’agit pas que de la nouvelle Constitution ou de l’ancienne. Il s’agit d’une question plus large qui est le désordre normatif et institutionnel chronique dans lequel le pays se trouve depuis plus d’une décennie, aggravé par une profonde fatigue de notre démocratie ; celle de la torpeur morale, de l’indifférence arrogante et vulgaire aux valeurs qui caractérisent nos élites et le sommet de l’État et qui affectent l’ensemble du système économique politique et social.
La seconde est que la Guinée fonctionne à la lisière de l’Etat de droit et toutes les arguties de nos éclairés juristes n’arriveront pas à le masquer.
La troisième a un lien de causalité avec la seconde, qui est que, pour les élites guinéennes, tous bords confondus, opposition-majorité, dans l’espace public comme dans l’espace privé, qu’il s’agisse de nos « homopoliticus » ou des « homoéconomicus », le droit est une forme qui ne les commande pas, tout ce qui compte c’est le résultat !
La quatrième est la profonde corruption et l’amateurisme à tous les niveaux qui plongent le pays dans une profonde anomie, dans une léthargie dont il risque de ne pas s’en tirer si rien n’est fait.
C’est dans ce climat délétère que se pose le problème de la nouvelle Constitution. Le Pouvoir, comprenant que la maitrise du sujet échappe aux politiques, il a opéré alors un réajustement stratégique en ayant recours au service d’une certaine élite intellectuelle. Il constitue à cet effet une nouvelle « startup présidentielle » faite d’un mélange de courtisans et d’universitaires.
Mais reste cette vérité immuable que ce n’est ni la détermination du FNDC, ni les critiques des médias, ni les protestation des mouvements associatifs qui sont l’obstacle au troisième mandat. L’ennemi irréductible du troisième mandat c’est la misère noire des populations, c’est l’échec de la gouvernance, c’est l’injustice, l’insécurité, le chômage des jeunes …
La première contribution du Professeur Zogbélémou est le point de départ du lancement de la nouvelle stratégie « Alea jacta est », le sort est jeté !
1 – Les doutes de l’oracle du droit : examen critique de quelques théories relatives à la nouvelle Constitution
L’essentiel du débat sur la nouvelle Constitution se focalise sur les différentes contributions du Professeur.
Si sur certains aspects de ses différentes contributions, il touche du bout des doigts certaines faiblesses évidentes de l’actuelle Constitution qui méritent d’être connues du grand public, par contre, globalement sa dite contribution vient noircir un peu plus une situation qui était déjà terne et que quelques personnes s’efforçaient, tant bien que mal, de clarifier.
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– Ce qu’il y a d’exact dans ces affirmations et les objections
a – Sur les contours du débat
Trois remarques préalables à propos de ladite contribution s’imposent :
D’abord, dès les premières lignes on est frappé par la vision très réductrice qu’il a du sujet parce qu’il ne souhaite appréhender la question que sous l’angle juridique. C’est compréhensible s’il veut rester dans sa zone de confort.
Ensuite, les perspectives de sa réflexion sont très simplistes puisqu’ils en limitent l’objet à la Constitution, en l’occurrence à la question simple et brutale de savoir « pour ou contre la nouvelle Constitution ». Le sujet est bien complexe, bien plus large qu’une affaire de nouvelle Constitution ou de référendum.
Enfin, en prétendant vouloir se focaliser uniquement sur la dimension juridique, l’auteur cache mal son malaise parce qu’il occulte la finalité de sa démonstration qui aboutit à une possibilité politique. C’est le lien de cause à effet : une démonstration juridique pour obtenir un effet politique.
b – sur la possibilité d’une nouvelle Constitution : les deux versants de l’interprétation de l’article 51 de la Constitution
Des contradictions à propos de l’article 511 de la Constitution : le Président de la République peut-il soumettre un projet de nouvelle constitution par référendum ?
Si d’un premier abord, on peut croire que les dispositions de l’article 51 visent le référendum législatif et non le référendum constitutionnel, par contre en allant plus loin, la lecture combinée des articles 51 et 152 montre qu’il s’agit bien d’un référendum législatif et d’une révision constitutionnelle. Toutefois il faut préciser que la confusion vient aussi du fait du champ d’application du référendum constitutionnel qui n’est pas univoque. En effet, un référendum constitutionnel est une consultation du Peuple par les autorités politiques pour savoir s’il accepte qu’une nouvelle constitution soit promulguée si elle le prévoit, ou que des modifications soient faites au texte constitutionnel en vigueur. Mais l’article 152 ne vise que les cas de révision constitutionnelle et non de Changement de constitution.
De plus l’article 51 alinéa 3 précise : « Avant de convoquer les électeurs par décret, le président de la République recueille l’avis de la Cour constitutionnelle sur la conformité du projet ou de la proposition à la Constitution. En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum ». Il faut en déduire que si le projet ou la proposition de loi visait aussi un changement de Constitution, la Cour constitutionnelle n’aurait pas pu intervenir en vertu du principe que le pouvoir constituant est souverain. Cette souveraineté du pouvoir constituant originaire ou dérivé fait que la Cour constitutionnelle ne peut pas reconnaitre sa compétence sur cette question. Il y a donc des limites d’ordre juridique à son intervention.
Au passage, on constate que dans les échanges, il est souvent fait référence à l’article 11 de la Constitution française à travers le prisme duquel on tente d’interpréter l’article 51 de la constitution guinéenne. Il nous semble qu’il faut éviter une transposition mécanique, les situations d’époque, de contexte et de volonté étant différentes, la lecture que l’on peut faire dans ces conditions d’une disposition identique peut être différente.
La vérité c’est que la recherche du fondement d’une nouvelle constitution ou d’un changement de Constitution n’est pas dans la Constitution. Elle lui est extérieure.
Il faut éviter les manipulations populistes sur les sujets complexes et émotionnels qui du reste peuvent s’avérer dans le contexte actuel hautement inflammables.
– Vendre l’idée du référendum abrogatif
C’est dans un amas d’arguments débités accompagnés d’un chapelet de citations aussi suranné qu’inadapté, des textes comme constitution française de 1791,
la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 etc… tendant non seulement à dissimuler une cavalcade politico-juridique et aussi faire aboutir un référendum abrogatif.
C’est une erreur grave de vouloir comparer l’Europe du XVIIIème siècle à la Guinée du XXIème siècle. Ces références citées à titre d’exemples ont été écrites dans une période post révolutionnaire où le peuple s’était effectivement illustré comme constituant originaire suite à une guerre civile qui a rédigé ces différents textes et mis en place les Institutions correspondantes.
La naissance de la Constitution est purement un fait naturel. En d’autres termes, à l’origine de la Constitution, il n’y a place que pour du fait, et non pour du droit. En conséquence, tout ce que peut faire le juriste, en particulier celui qui pense que la question de la nouvelle constitution est purement juridique, c’est de constater que la Constitution n’existe qu’à partir du moment où le constituant originaire, fixée sur un certain territoire, a mis par pur fait, des organes exprimant sa volonté, établissant son ordre juridique et imposant supérieurement sa puissance de commandement à travers sa constitution.
Contrairement à ce qui a été soutenu par certains, nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute que dans notre système normatif il n’existe pas de référendum abrogatif2, c’est-à-dire un référendum dont la finalité est de s’opposer à l’actuelle Constitution déjà en vigueur. Car si tel était le cas, il subsisterait un problème juridique parce que la Constitution guinéenne ne prévoit pas de référendum abrogatif, il n’existe que référendum normatif qui a pour but d’approuver une nouvelle norme le plus souvent à travers une révision. Dans la Constitution de 2010, seul le référendum normatif est prévu.
Le référendum abrogatif s’avère être un instrument pour une rénovation de la vie publique. Ce terme a été adroitement utilisé comme un instrument d’ouverture du débat public en introduisant dans la vie politique des questions jusqu’alors non ouvertement exprimés par les politiques. Ce n’est qu’après l’introduction de l’idée par une voix d’universitaire à travers une contribution que le Gouvernement à reprit presque qu’à l’identique dans la lettre du Ministre des Affaires Etrangères et des Guinéens de l’Etranger du 19 juin 2019, portant communication d’une note sur la nouvelle constitution à l’attention de nos représentations diplomatiques afin qu’elles s’approprient les éléments de langage en faveur d’une nouvelle à diffuser auprès des institutions auxquelles elles sont accréditées.
L’efficacité du procédé est aussi subtile que redoutable puisqu’il s’agit d’une stratégie « formulée », comprenant un véritable mécanisme d’abrogation de la constitution de 2010, mais d’une initiative « non formulée », consistant en des indications générales sur les justifications et des précisions sur la procédure de la réforme à accomplir.
Pour finir sur ce point pendant que l’on y est, pour nos grands doctrinaires, il serait peut-être temps aussi de penser à une autre forme de référendum qui n’existe pas aujourd’hui dans notre constitution mais qui ferait le bonheur des citoyens. Il s’agit d’un référendum présent dans certains Etats des Etats-Unis que l’on nomme « recall », c’est un référendum révocatoire qui permet de de destituer un élu avant la fin de son mandat. La Guinée devrait l’expérimenter dans son système institutionnel et normatif.
– La Constitution de 2010 repose sur la « légitimité circonstancielle ».
L’argument phare présenté par le Pouvoir et repris par les contributions des universitaires qui soutient que l’actuelle Constitution est illégitime.
Le discours se focalise sur le fait que celle-ci a été adoptée par voie décrétale et donc par conséquent n’a pas bénéficié de l’onction légitimatrice d’un référendum. Présenté sous cet angle l’argument semble imparable, mais une fois de plus en poussant l’analyse on s’aperçoit qu’il ne tient pas compte de l’importance et de la place des « conventions constitutionnelles » dans le processus de mise en place de la Constitution de 2010.
La Constitution de 2010 est née d’un compromis pour sortir de la crise de la transition entre les grands acteurs politiques guinéens suite aux accords de Ouagadougou du 15 janvier 2010 : c’est cela la « convention constitutionnelle ». Cet arrangement politique était destiné à pallier les insuffisances institutionnelles et au risque d’un désordre général, c’est cela la « légitimité circonstancielle ». La Constitution actuelle est donc légitime.
A cet égard, il n’existe pas qu’une seule et unique forme de légitimité. Certes l’actuelle Constitution n’a pas été soumise au référendum mais ceci ne lui enlève nullement sa légitimité. La légitimité de la Constitution de 2010 repose sur une autre forme de légitimité qui est la « légitimité circonstancielle », qui tient à la conjoncture spécifique de l’Etat c’est-à-dire la transition. La mission était confiée au Général Sékouba Konaté pour traverser cette période et faire accéder la Guinée à la normalité. Il devait, dans les termes d’un genre de contrat social tacite assurer au pays une transition pacifique. Les circonstances ne se prêtant pas à l’organisation d’un référendum, c’est à ce prix-là que les guinéens ont accepté la Constitution de 2010 adoptée par décret pour éviter de tomber dans le chaos.
De plus, le fait que deux élections présidentielles aient été organisées sur la base de cette Constitution, c’est aussi une légitimation par la croyance que les guinéens avaient en elle. A cela s’ajoute les dix années de son existence qui est aussi une légitimation par le temps.
Il faut savoir qu’une époque donnée ne choisit pas la légitimité qu’elle veut. Comme le souligne Ferrero : chaque époque n’a qu’un principe de légitimité, elle le trouve déjà établi en voie de formation. Tel est le cas aujourd’hui de la Constitution de 2010 qui a une « légitimité circonstancielle ».
La Constitution actuelle est donc légitime !
2 – Le grand reniement et les contre-vérités
Ce dernier point s’articulera uniquement autour de la procédure d’adoption esquissée par la dernière contribution, dans lequel l’auteur s’exerce à servir insidieusement à dose homéopathique les innovations comprises dans ce qui doit être le projet de la nouvelle Constitution.
La démarche de l’auteur relève ni plus ni moins que d’un sophisme juridique pour trois raisons évidentes :
La première est que tous les arguments avancés et toutes les innovations projetées dans ses deux contributions peuvent être réglés par une révision sans nécessiter un changement de constitution à moins qu’il n’y ait d’autres raisons …
La seconde est que l’auteur fait référence à la Cour constitutionnelle alors que, comme souligné plus haut, elle n’a pas la compétence non seulement pour contrôler un changement de Constitution et qui de surcroît n’est pas prévu par la Constitution. De plus, il le sait pertinemment que la Cour constitutionnelle à laquelle il fait référence raisonne en marge du droit pour l’avoir abordé dans son avis du 23 janvier 2019.
La troisième est la conséquence logique de la première. Il apparait donc que le décret de prorogation étant manifestement illégal et inconstitutionnel ses effets juridiques le sont tout autant. Par ce lien de causalité l’Assemblée nationale actuelle est une Assemblée de fait, elle est illégale et par conséquent ne peut en aucun cas constitutionnellement exercer sa fonction de représentation nationale ; il s’agit d’une incapacité fonctionnelle ou tout au moins d’une irrégularité fonctionnelle. Ainsi, pour l’instant tout l’édifice sur lequel repose la stratégie d’une nouvelle Constitution s’écroule d’elle-même.
Qui plus est, cette référence à la Cour constitutionnelle a de quoi surprendre, surtout quand on sait qu’elle a dû se reprendre à plusieurs fois avant de sortir un avis de conformité correct des accords des conventions avec la Chine. Quelle honte !
Plus les signes de rupture constitutionnelle éclatent et plus les dirigeants politiques et leurs savants s’efforcent à maintenir la fiction de cohérence.
Pourquoi penser, même s’il s’agit des « fines plumes » de la doctrine constitutionnelle guinéenne, qu’il peuvent procéder à une interprétation sélective du droit, qu’il leur est permis de prendre ainsi d’une main dans la Constitution ce qu’il peut y avoir de rigoureux contre la protection de la Constitution de 2010 et écarter de l’autre ce qui peut lui être favorable ? Est-ce là la balance de la neutralité intellectuelle ? Est-ce là la balance de l’objectivité de l’universitaire ?
Cette attitude est d’autant plus dangereuse et mérite d’être relevée, qu’elle doit d’autant plus être dénoncée en raison du poids et de la lumière de leurs auteurs.
Dans l’histoire le problème du revirement intellectuel et du reniement de ses convictions a toujours existé. Il a été plus ou moins tragiquement résolu. D’abord, Copernic : un des premiers scientifiques soupçonné par l’Inquisition. A cause de l’obstination de l’Inquisition il sera brûlé vif. Ensuite, Giordano Bruno. Son procès durera 8 ans. Il finit, après une vingtaine d’interrogatoires et un refus de rétraction de sa part, condamné au bûcher.
Galilée, un astronome, mathématicien, philosophe, et physicien italien connu un sort moins sinistre. Il aurait cependant marmonné cette phrase en 1633 devant l’inquisition « E pur si muove ! » qui signifie « Et pourtant elle tourne » à propos de la Terre. Il sera assigné à résidence à perpétuité.
Tous ces savants et érudits ont résisté par la force de leurs convictions aux menaces et l’administration des pires châtiments. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui de tels traitements dans la Guinée d’Alpha Condé et ceci même à propos de la nouvelle Constitution ou d’un troisième mandat.
La « Divine comédie » de certains de nos éminences grises restera encore longtemps dans les mémoires aussi bien de l’élite que de tous les guinéens qui s’identifiaient à eux.
Mais qu’est ce qui a bien pu traverser la mémoire d’un érudit reconnu et respecté et de surcroît en fin de carrière de renier ses convictions si longtemps affirmées avec hauteur et courage et aller à contre-courant de l’évidence même ?
Ce qui reste vrai c’est qu’en l’état actuel des choses, ni révision encore moins changement de constitution n’est possible !
Dr. André Camara
Juriste/Politiste
1 « Le président de la République peut, après avoir consulté le président de l’Assemblée nationale, soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux, ou l’action économique et sociale de l’État, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité.
Il doit, si l’Assemblée nationale le demande par une résolution adoptée à la majorité des deux tiers des membres qui la composent, soumettre au référendum toute proposition de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou concernant les libertés et les droits fondamentaux.
Avant de convoquer les électeurs par décret, le président de la République recueille l’avis de la Cour constitutionnelle sur la conformité du projet ou de la proposition à la Constitution. En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum.
La Cour constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum. Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition, la loi ainsi adoptée est promulguée dans les conditions prévues à l’article 78 »
2 Aux Etats-Unis, le référendum abrogatif est appelé veto referendum. En général, le référendum d’initiative populaire ne peut être qu’abrogatif.
En Suisse, au niveau fédéral, l’initiative populaire ne peut prendre que la forme d’un référendum abrogatif, appelé référendum facultatif, tandis qu’au niveau des cantons ou des communes le référendum est également possible pour une proposition ou une modification de loi.
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