GUINÉE : LE RÉGIME EN QUÊTE D’UNE EXTRÊME « RELÉGITIMATION»

DR ANDRE CAMARA
DR ANDRE CAMARA

A peine deux ans après le début de son second mandat, le régime d’Alpha Condé montre des signes d’essoufflement dû à l’usure qui donne l’impression que le pouvoir échappe à son détenteur, où par plusieurs détails, on réalise que le pouvoir est nu.

On sent un véritable bouleversement aussi bien au sein de l’élite politique guinéenne dans son ensemble qu’au sein des populations. Comme s’il s’agissait d’une veillée d’arme avant l’embrasement général. Au cœur de cette situation les questions d’un changement de Constitution décrié et vilipendé et d’un troisième mandat en faveur d’un Président de la République dont les moindres signes de faiblesse sont décortiqués et cruellement commentés.

La situation actuelle de la Guinée évoque le temps du politique, où les ruptures sont de plus en plus marquées et de plus en plus rapides. Un temps dans lequel la distance entre l’illusion de promesses électorales chimériques et la déception des réalités, voire la haine du vainqueur d’hier, est de plus en plus forte.

C’est un temps qui marque soit la conclusion d’une époque, le crépuscule d’un système au pouvoir, soit le début d’une autre, potentiellement porteuse d’avenir pour une autre famille politique.

Dans ce tournant très difficile pour son régime le Professeur Alpha Condé veut renaitre de ses cendres, il est à la recherche d’une relégitimation en vue d’atteindre ses objectifs de changement de Constitution. L’adresse à la nation du 04 septembre est le point de départ du déclenchement officiel de ce processus de relégitimation. Il a recours globalement à cinq facteurs de légitimité étroitement imbriqués dans sa méthode discursive.

1 – LA LÉGITIMITÉ PAR LES PROCÉDURES OU LA TENTATIVE DE RELUSTRAGE DE LA LÉGITIMITÉ ÉLECTORALE

Dans la recherche d’un nouveau souffle de légitimité, le régime a compris qu’il devait commencer par légitimer les procédures ou du moins en créer l’illusion en vue d’aboutir au changement de la Constitution. C’est la raison de l’adresse à la nation du Président de la République avec un choix de vocabulaire orienté, et bien d’autres techniques qui participent à cette reconstruction d’une légitimité profondément détériorée.

Certes que le Président Alpha Condé bénéficie de la légitimité électorale acquise en 2015, mais en réalité, il n’en garde plus que les vestiges puisqu’elle s’est érodée rapidement avec le temps et les écarts dans l’exercice du pouvoir.

Dans sa quête de relégitimation l’objectif est de passer par le truchement d’une consultation, en vue parvenir à une participation requise pour raffermir la légitimité du régime et de son projet de nouvelle Constitution.

Ainsi la légitimation proviendra d’une consultation validée par l’ensemble des participants pour pouvoir légitimer l’action qui va suivre. En d’autres termes la consultation va pouvoir légitimer la tenue du référendum constitutionnel.

En ayant l’organisation des législatives et de la nouvelle Constitution pour horizon, le Président de la République a cherché dans certains de ses propos le moyen de déminer le terrain des imputations négatives qu’on pourrait lui attribuer. A certains endroits il reconnait qu’il y a une perte de repère généralisée. Mais sur ce registre, il oublie que ce n’est pas au peuple de se demander où on va, mais à lui et à son gouvernement d’indiquer où l’on va et que l’on est dans le bon sens : c’est leur rôle de rassurer.

2 – LA LÉGITIMITÉ FONDEE SUR LES ACTEURS OU « LE MIROIR AUX ALOUETTES »

Le Pouvoir veut d’abord se séparer de ce boulet qu’il traîne, celui que lui a collé la Cour constitutionnelle ; cette Assemblée nationale de fait, illégale et illégitime, qui constitue, en l’état actuel des choses, un obstacle à la fois juridique et politique à ses ambitions. Pour revenir à une situation de normalité, il faut partir vite vers l’organisation des législatives pour s’assurer une majorité plus que confortable, les 2/3 des sièges de la nouvelle Assemblée nationale légitime.

L’équipe gouvernementale doit être sûre de ses arguments. C’est pourquoi elle semble solliciter un débat pensant pouvoir dominer au plan du droit. Ce qui ne semble pourtant pas certain …

Le choix du Premier Ministre pour mener les consultations, bien qu’éminemment politique, peut poser de sérieux problèmes de reconnaissance qui risquent de bloquer tout le mécanisme projeté. La faiblesse de cette erreur de casting est de n’avoir ni anticipé ni prévu d’en mesurer la réception et l’acceptation parmi les acteurs visés.

Il demeure cependant, que dans le contexte actuel cette consultation vise clairement que les acteurs se légitiment les uns les autres : les politiques légitimeraient l’action citoyenne et les citoyens légitimeraient l’action politique, tandis que la majorité légitimerait les revendications de l’opposition, et cette dernière les solutions du pouvoir. En effet, la légitimité du projet d’une nouvelle constitution ne pourrait provenir que de sa rencontre avec les avis des acteurs qui s’affilieraient à la consultation.

Du reste, il y a un « miroir aux alouettes  » dans cette proposition car la consultation diffère du dialogue ou du débat. Le premier sert à recueillir des avis simples, alors que les deux derniers supposent une confrontation d’idées par approximations successives dans le but d’atteindre une vérité ou une solution. La consultation en l’espèce à une connotation administrative alors que le dialogue et le débat sont d’essence démocratique.

Mais pour l’instant il ne s’agit que de consultation. Précisons cependant que toute ouverture d’un éventuel débat devra forcément aboutir à terme à une solution quelle qu’elle soit. En général dans ce genre de choses c’est la partie qui dispose de plus de moyens à sa disposition qui l’emporte. Il faut préciser à ce propos qu’une institution comme la Cour constitutionnelle est là pour entériner tant bien que mal les positions du Gouvernement.

L’Opposition et les Forces vives ayant compris que les prochaines législatives sont d’un enjeu décisif, ils estiment que les mécanismes de responsabilité des dirigeants doivent s’étendre au-delà des élections. Elles tiennent à ce que soient inclus les contrepoids et les contrôles sur les centres de pouvoir, la transparence dans le fichier, les audits de fonds publics, le débat politique public, la couverture médiatique adéquate, la clarté dans le choix de l’opérateur etc. Bref il s’agit des instruments de mesure de la bonne gouvernance qui doivent ainsi être mis en place à cette occasion.

3 – LA MANŒUVRE POUR RÉANIMER LA LEGITIMITE PAR LES CROYANCES PARTAGEES

Pour produire de l’effet, la fibre identitaire est flattée de même que le nationalisme profondément ancré chez le guinéen est sollicités dans le discours.

Certains passages permettent aussi au Président de la République de partager un sens de l’identité de la communauté nationale en tant que source fondamentale de légitimité étatique dans une nation en construction.

Précisons au passage, que l’adresse à la nation a soigneusement évité de se référer à la légitimité traditionnelle que constituent les coutumes et traditions qui permettent aussi de légitimer un régime politique. Ce facteur avait été utilisé par l’entourage présidentiel par la mise en place par exemple du « Kountigui de la Basse-Côte ».

Cette démarche politique était motivée par le souci d’installer des soutiens supplémentaires au Pouvoir en place et de favoriser son maintien.

Cependant, les derniers évènements montrent la présence de la conflictualité dans leurs rapports, il suffit de se rappeler le tournant pris entre le régime et le « Kountigui de la Basse-Côte » depuis la question du troisième mandat.

Cette situation préfigure désormais l’enjeu de la cohabitation des légitimités traditionnelles et étatiques dans le cadre de la gouvernance, et ceci ne se réduit pas à la question d’un troisième mandat éventuel. Il faudrait ici se garder de croire qu’il s’agira désormais d’une simple soumission passive des légitimités traditionnelles.

4 – L’IMPOSSIBLE APPROPRIATION DE LA LEGITIMITE PAR LES RESULTATS

Le plus gros handicap de ce régime est la légitimité par les résultats. En effet, ce facteur de légitimité concerne les réalisations de l’Etat, bien entendu, ces réalisations peuvent ne pas être uniquement celles du Gouvernement. On sent bien l’embarras dans les propos à cause de leur vacuité.

Atténuer les faiblesses du régime dans l’adresse à la nation a été une opération délicate car le procédé ne devait pas être trop voyant. Dans cet exercice le choix des mots est alors important, il devait éviter de reconnaitre des fautes politiques, sa stratégie pour s’en dégager a été de rejeter la faute sur les circonstances ;  il a préféré alors plutôt parler de la complexité du contexte Ebola et autres.

Une autre technique discursive de cette adresse à la nation est de se déresponsabiliser en se noyant dans la masse ou en se diluant dans un « nous » collectif.

Le problème est que les réalisations évoquées dans le discours n’ont aucun effet sur la qualité de vie des guinéens qui sont, entre autres, la qualité et l’efficacité des services publics et des biens publics fournis par l’Etat. Un des premiers services régaliens de l’Etat est d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens, la sécurité du territoire. L’Etat doit être capable d’assurer la protection des citoyens, le développement des voies de communications, la fourniture d’autres services sociaux de base comme la santé, la salubrité publique, l’eau et l’électricité. Il y a d’autres aussi non moins importantes qui sont la question du chômage, de la corruption endémique, le coût de la vie etc …

Cette légitimité est d’autant plus importante pour le régime, en particulier le maintien de la sécurité, parce qu’il permet l’appropriation d’autres sources éventuelles de légitimité.

Malheureusement, les conditions existentielles, la faim, la misère et le chômage favorisent la grogne et le mécontentement qui prédisposent la population à être à l’écoute des adversaires du régime et à descendre dans la rue. On sait qu’en général la remise en cause de la légitimité de l’Etat se fait particulièrement en périodes troubles, en temps de crise économique.

5 – LA CONQUÊTE DE LA LEGITIMITE INTERNATIONALE

Le fait qu’il y ait des élections qui n’ont pas été faites ou d’autres retardées, marquent l’instabilité politique ambiante de la Guinée au regard de l’extérieur. Celles qui ont fini par être faites ont été suivies de crises post-électorales qui se sont prolongées puis transformées en crises politiques et socio-économiques. Ces crises postélectorales remettent en cause les résultats et ainsi contribuent à éroder la confiance des citoyens à l’égard des institutions issues des élections. A cela s’ajoutent les questions du troisième mandat et du changement de Constitution.

Aujourd’hui avec tous les remous causés par les opposants à la nouvelle Constitution et en particulier les actions du FNDC et des partis politiques, l’image du régime est ternie et sa légitimité oblitérée à tel point qu’il a besoin de se refaire une virginité à international.

Ainsi l’adresse à la nation et tout ce qu’elle contient vise à donner un habillage juridique à l’attention de la communauté internationale. La reconnaissance du bienfondé de ses actions par les autres Etats et acteurs étrangers forme une source de légitimité de ses objectifs étatiques tout en contribuant à raffermir la souveraineté de l’Etat. Avec la mondialisation, la reconnaissance internationale, d’un régime et de ses actions est essentielle tant sur le plan interne qu’externe. Par ailleurs celle-ci peut entrainer un soutien financier et politique et pourquoi pas militaire de la communauté internationale au projet de nouvelle Constitution. C’est donc dire que le soutien international recherché par le Professeur Alpha Condé peut représenter un facteur de légitimité de ses ambitions. Dans un pays pauvre comme la Guinée où l’aide extérieure est très importante, il est capital que les bailleurs de fonds internationaux, les pays partenaires et les organisations internationales et régionales ne tournent pas le dos au régime.

C’est le but de sa tournée internationale ces derniers mois : créer une illusion d’optique.

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Le Pouvoir ne suscite plus une grande confiance auprès de la population. L’Etat est perçu comme un pourvoyeur de services pour le bien-être général et comme il faillit à cette tâche, il manque de légitimité. Pour la regagner dans cette période particulièrement difficile pour le régime, il doit s’appuyer sur les lieux du pouvoir légitime.

Mais dans l’imaginaire populaire actuel, tout le monde pense que ces grandes déclarations sont un rituel, un jeu qui s’insère parfaitement dans la dramaturgie politicienne. Il y a dans le fond le soupçon d’insincérité qui laisse en suspens la question du « croire ou ne pas croire ».

Contrairement à ceux qui opposent la parole à l’action, il y a une consubstantialité entre les deux ; je pense que le discours politique n’a pas de sens en-dehors de l’action ; c’est dans l’action que se joue, pour le sujet politique, l’exercice du pouvoir. C’est dans ce sens que la philosophe Hanna Arendt dit : « L’action muette ne serait plus action parce qu’il n’y aurait plus d’acteur, et l’acteur, le faiseur d’actes, n’est possible que s’il est en même temps diseur de paroles2 ».

L’adresse à la nation laisse un sentiment de rendez-vous manqué. Elle était l’occasion pour le Président de la République de suivre son chemin seul, d’aller à la rencontre de son peuple avec sincérité, sagesse et humilité en reconnaissant certaines erreurs, en regrettant les mauvais calculs; le repentir se fait par soi-même. Il lui revenait ce soir 04 septembre de jouer son rôle de « désamorceur des angoisses », de créer lui-même le salut de son régime : un salut par ses propos, par ses mots. Il aurait pu procéder ainsi à sa propre régénération et par là même celle de son régime. Malheureusement dans cette adresse à la nation, ce n’est pas tant les fautes et les erreurs que leur négation, leur occultation, qui sont condamnables.

Au point où nous en sommes, cette recherche subite et tardive du consensus risque d’être stérile, beaucoup placent leurs espoirs dans une alternance pour sortir de cette crise. Celle-ci représente, en tout cas selon les spécialistes, « la moins pire des solutions » pour sortir la Guinée de l’impasse dans laquelle elle se trouve. Certains pensent qu’un troisième mandat et une nouvelle Constitution ne peuvent pas conduire au renouvellement des élites corrompues et sclérosées en place.

Dr. André Camara

Juriste/politiste

1 Relégitimation : Fait de légitimer de nouveau, de reconnaître de nouveau comme légitime.

2 Arendt H., Condition de l’homme moderne, Calman-LÈvy, Paris, 1961 et 1983, coll. Agora, p.235

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