Dans un contexte socio-politique pollué par des crises à répétition et des bavures policières, l’inaction et le mutisme représentent une démission tacite face à notre histoire; cette histoire qui patine avec toutes ses vicissitudes. Aujourd’hui, environ 12 millions de Guinéens vivent dans l’incertitude du lendemain, dans la peur et dans une impasse injustifiée, engendrées par les attitudes et manœuvres néfastes des politiques. La Guinée et les Guinéens subissent un coup politique sévère dont la gestion devient de plus en plus ardue. La tension est vive et les issues s’amenuisent laissant place à toute sorte de spéculations. La psychose s’installe et certains esprits n’imaginent pas de sitôt une sortie heureuse.
Cet amer constat doit nous interpeller puisque qu’on ne peut aucunement laisser notre maison commune, notre chère Guinée, se désaxer ou s’effondrer, par la volonté manifeste ou sournoise de quiconque. Dans cette obligation citoyenne et patriotique, nous usons de notre liberté d’opinion que nous consacre la constitution guinéenne en son article 7 alinéa 2, pour lancer cet appel dont le but est d’activer la conscience latente des citoyens et de ramener les forces de l’ordre à leur mission républicaine. Ce devoir nous interpelle et ayons donc le courage de notre opinion, même si notre voix tremble. Il s’agit là de notre devenir, le devenir du peuple de Guinée.
Dans un régime démocratique, toutes les institutions tirent leur légitimité du peuple auquel appartient la souveraineté. La Guinée ayant proclamé être une république unitaire, indivisible, démocratique et sociale, conformément aux dispositions de l’article 1er de la constitution guinéenne, se doit d’accorder toute la légitimité à son peuple. Le président, les députés, de quelque bord que ce soit, les membres du gouvernement et toutes les voix qui s’élèvent au nom du peuple semblent souvent négligés qu’ils tirent leur légitimité de ce peuple qui mérite respect et considération de leur part. A travers leurs faits et gestes, ce respect doit être soutenu. Si par moments, ils estiment que ce peuple est attardé ou ignorant, excusez-nous du peu, ils doivent concomitamment réaliser que c’est par l’adhésion et le soutien de ce peuple qu’ils sont là ou ils sont. Le peuple n’est jamais bête, encore moins naïf; ce sont les leaders qui cherchent souvent à l’abrutir. Réveille-toi peuple de Guinée! Réveilles-toi citoyen!
En démocratie, les règles ou les principes sont édictés et leur respect est impératif. Faire valoir la règle de droit, est ce qui définit, en droit pur, l’état de droit. L’entorse à ses règles entraîne toujours des réactions. Et la manière la plus expressive pour le démontrer est de passer par des marches collectives. L’article 10 de la constitution guinéenne qui dispose que: “tous les citoyens ont le droit de manifestation et de cortège”, est assez éloquent pour en démontrer toute la pesanteur. Nul n’a donc le droit d’interdire aux citoyens de jouir de cette liberté qui devient, par la force des choses, l’ultime recours des citoyens pour exposer leurs revendications.
Cependant, le droit de manifestation et de cortège ne doit point servir de tremplin pour se rendre coupable d’actes inciviques. A travers les marches, la loi permet aux citoyens guinéens de brandir ou clamer leurs préoccupations telles que la pénurie d’eau, le délestage électrique, le chômage, les abus de pouvoir, l’absence d’autosuffisance alimentaire, les crises éducatives, la corruption à ciel ouvert, les fraudes électorales et toute la pléiade de maux dont souffre le peuple du 02 Octobre 1958. Il n’y a rien de plus normal que de porter ses revendications aux autorités concernées dans les formes prévues par la loi.
Dans l’exercice de ce droit de manifester le citoyen doit éviter de tomber dans le piège de l’incivisme en démolissant les édifices publics, les biens privés et en se servant d’armes. N’oublions pas que les bâtons, les pierres et les couteaux peuvent causer des dommages à autrui. Ils peuvent même, dans des cas extrêmes, porter des coups mortels. Le civisme est aux antipodes du vandalisme qui, par ailleurs, est puni par l’article 523 du code pénal de la République de Guinée.
Au cours des manifestations citoyennes, autant les actes de destruction d’édifices et de biens privés sont repréhensibles autant il est important de rappeler le rôle des forces de défense et de sécurité. L’article 141 de la constitution guinéenne dispose que: “les forces de défense et de sécurité sont républicaines. Elles sont au service de la nation. Elles sont apolitiques et soumises à l’autorité civile. Nul ne doit les détourner à ses fins propres.” Et dans les dispositions de l’article 142 de la constitution, alinéa 2, il est précisé que les forces de sécurité sont chargées de la protection civile, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes et de leurs biens et du maintien de l’ordre public.
Nous comprenons par ces dispositions que nul ne peut être plus éloquent que la norme fondamentale. En clair, la mission essentielle qui incombe aux forces de l’ordre, c’est la protection des citoyens et le maintien d’ordre . Ce qui ne signifie nullement l’usage des armes mortelles au cours des manifestations, ou l’emploi des injures et l’administration des bastonnades en bande et même parfois la commission des actes de vandalisme à ciel ouvert. Nous devons rappeler qu’une balle réelle n’est pas un caillou réel. La probabilité de la fatalité d’une munition est très élevée. Son emploi, en situation de démonstration civile, ne peut se justifier par rien. Tirer à bout portant sur un civil n’a rien d’élogieux. Un citoyen qui tombe sous les balles d’un agent des forces de l’ordre, n’est qu’une perte de trop qu’aucune autre balle ne peut ramener à la vie. L’usage de la force légitime a bien des limites qu’il faut respecter. L’existence d’une force de sécurité républicaine serait bien possible si les agents qui se rendent coupables de telles infractions sur les citoyens étaient traduits devant les juridictions compétentes.
Les agents des forces de maintien d’ordre ne doivent pas ignorer qu’ils sont eux-mêmes des citoyens à part entière, appelés à faire des revendications lorsque les circonstances s’y prêtes dans les conditions prévues par la loi. Il y a aussi que leur cycle de vie se schématise comme suit: vie civile-vie militaire- vie civile.
Pour notre dernier mot, retenons que notre République a plus que jamais besoin de l’implémentation de la culture civique. La démocratie ne se sentirait bien en Guinée que lorsque l’esprit citoyen est incarné par tous et toutes. Il n’y a pas de citoyen exceptionnel avec un statut singulier. Force revient toujours à la loi devant laquelle nous sommes tous égaux en droit et en devoir comme le stipule l’article 8 de notre constitution.
Moussa Kalam SOUMAH
Coordinateur de l’ONG GECIPE-Globale Education pour le Civisme et la Protection de l’Environnement. Conakry.
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