VERS LA FIN DE L’ESPOIR DU REFERENDUM ?

DR ANDRE CAMARA
DR ANDRE CAMARA

Dans son avis émis,la Cour constitutionnelle a été obligée de vendre une situation de péril exceptionnel qui n’existe pas, afin de justifier le recours à l’article 45 al. 3 de la Constitution. Elle a donc de ce fait implicitement dirigé vers la prise du décret dans la soirée du vendredi 11 janvier 2019, en vue de prolonger le mandat des députés à l’Assemblée nationale jusqu’à la prochaine législature.

Il reste que cette argumentation, trop simpliste de la Cour constitutionnelle, ne peut cacher ni la fracture entre le droit et la politique, ni les conflits de fond et le manque de rigueur au sommet de l’État sur les choix stratégiques du pays et sur le véritable pouvoir de décision.

C’est le revers du forcing effectué par la Cour constitutionnelle pour obtenir la prorogation du mandat de l’Assemblée nationale. Mais elle a pris la précaution en évitant d’indiquer la nature de la décision à prendre. Elle s’est limitée à une «formule bateau», vague, jetant ainsi le Président de la République dans la «fosse aux lions» avec son décret. Cette incapacité de la haute juridiction constitutionnelle à aller jusqu’au bout de la voie de droit qu’elle propose est inadmissible en raison du contexte particulier que traverse le pays. C’est surprenant pour une institution qui tire son autorité, puise sa force dans ses armes qui est sa capacité à interpréter la Constitution.

C’est une situation très inconfortable pour le Président de la République dans la mesure où l’avis consultatif n’a pas expressément visé le décret comme la voie de droit adaptée, on peut très rapidement en déduire que ledit décret est une interprétation personnelle. En effet, l’essentiel des prérogatives présidentielles en matière d’interprétation réside dans l’interprétation de ses propres pouvoirs. Cette posture risque de lui être très préjudiciable en cas de dérapage (En tant qu’interprète de la Constitution il peut apprécier la régularité de telle ou telle action des autres pouvoirs publics sous réserve bien sûr de l’intervention possible de la Cour constitutionnelle.).

En définitive, avec l’avis de la Cour constitutionnelle n°001/CC/2019 du 10 janvier dernier et en l’absence d’un recours administratif contre le décret ou devant la Cour suprême ou d’un retrait volontaire dudit décret par son auteur, nous sommes dans une situation où l’Assemblée nationales est devenue, par la force des choses, un pouvoir de fait, illégal et illégitime parce que son mandat a été prorogé sur des bases anticonstitutionnelles. Son intervention dans ce mécanisme référendaire vicie tout le processus. C’est dire que la mise en œuvre des articles 51 et 152 devient impossible parce qu’elle suppose que l’avis que le Président de la République requiert doit s’adresser à une institution légitime, et ce n’est pas le cas.

L’organisation d’un référendum, quel qu’il soit d’ailleurs, dans le contexte actuel ne serait ni plus ni moins qu’un coup d’État. On ne défie pas impunément la constitution!

En d’autres termes, le problème qui se pose c’est la question préjudicielle de la légalité constitutionnelle de la tenue d’un référendum. L’initiative du référendum appartient concurremment au Président de la République et aux députés. L’article 51 prévoit que le Président de la République doit consulter le président de l’Assemblée nationale. Mais le problème c’est que l’actuelle Assemblée nationale n’est ni légale ni légitime au regard de notre Constitution.

En effet la prorogation du mandat de l’Assemblée nationale s’est faite sur la base d’un avis juridique qui non seulement a utilisé une voie de droit complètement fausse, mais qui plus est, porte manifestement atteinte au principe de la séparation des pouvoirs qui est un des piliers cardinaux de la démocratie. De sorte que les conditions de la prorogation du mandat de l’Assemblée nationale sont devenues un vice rédhibitoire empêchant l’atteinte du référendum.

Au départ, bien que sachant le référendum impossible, la mouvance voulait l’utiliser pour conforter l’autorité du Président de la République. Mais c’est la possibilité d’un éventuel échec du «Oui» au référendum qui a dû refroidir les zélateurs du régime. C’est pourquoi en lorgnant sur l’éventualité du choix de la voie législative, la mouvance pense choisir une voie de tout repos. Ce jugement ne semble pas aussi évident que cela.

Ainsi la priorité du pouvoir est semble-t-il aujourd’hui d’aller vers l’organisation rapide des législatives pour ainsi faire un pas de plus vers l’adoption de la nouvelle Constitution.

On peut aussi voir dans ce revirement une stratégie de rééquilibrage nécessaire à réaliser à la vue de l’écart pris entre la communion d’action éclatante du camp du FNDC et les incertitudes de la mouvance présidentielle faites de réglages stratégiques changeants.

La position du Président de la République change dès qu’il a pris acte de l’intention de son gouvernement, on constate qu’il est désormais devenu un guide et non plus un arbitre qui intervient en dehors du débat sur la nouvelle constitution.

Quoiqu’il en soit, pour ce qui est des périls du référendum, le gouvernement semble bien averti de la difficulté que quand une question passionne l’opinion, elle devient trop dangereuse.

Au demeurant, l’essentiel de ce débat qui obsède la cité se résume à la question de la protection de la paix nationale et de la Constitution. Les juges constitutionnels dans leur avis ont orienté le décret vers une protection politique de la Constitution, or elle n’est ni l’unique voie de droit ni la plus pertinente et adaptée en la circonstance. Mais le hic est que cette protection politique ne revient pas exclusivement au Chef de l’État. Les institutions constitutionnelles et les citoyens eux aussi peuvent exercer leur droit de résistance à l’oppression contre toute modification jugée inacceptable.

On est en plein déclin du droit. Les récents évènements qui vont des lois successives du code électoral en passant par les accords contre-nature des partis politiques et l’apathie des contre-pouvoirs, élites, politiques, juges, députes, membres des institutions constitutionnelles face au délitement de la légalité, marquent l’emprise du politique sur le droit.

Dans une situation de perte généralisée des repères et des valeurs sociétales, le dernier acte revient à l’armée. C’est dire que la protection politique de la Constitution n’est pas une exclusivité du Président de la République, elle est une responsabilité collective.

Les listes des promoteurs du troisième mandat dressées par le Front National pour Défense de la Constitution (FNDC), publiées et déposées à la Cour Pénale Internationale et auprès des institutions internationales et les représentations diplomatiques peuvent être un contre-défi ravageur en cas d’organisation du référendum dans les conditions actuelles suivie de pertes en vies humaines et/ou de viols.

Au-delà des facteurs internes propres à chaque pays et de contextes particuliers qui conduisent à une prise du pouvoir par la force, il convient de reconnaitre qu’une constante s’observe dans son mécanisme. Le phénomène de l’incursion militaire sur la scène politique généralement prend sa source dans l’instabilité chronique des institutions et du climat social. Dans notre pays, la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques personnes, rend d’une part plus difficile un changement institutionnel par des moyens légaux, d’autre part, rend plus réaliste une prise de pouvoir « physique », dans la mesure où le régime repose entièrement sur un groupe très restreint qu’il suffirait d’isoler. La faiblesse de l’État, la légitimité réduite de leurs institutions et la faible cohésion nationale qui les anime sont bien évidemment des facteurs aggravants.

Et pour cause, le phénomène de dysharmonie favorise l’irruption de l’armée sur la scène politique et en général celle-ci vise directement le Chef de l’État qui incarne l’État. Il est à la jointure de toute la vie économique, politique, culturelle et sociale d’où une personnification sacralisée de son pouvoir.

Dans notre pays l’autorité présidentielle est quasiment absolue, ce qui fait que, vrai ou faux, tout se fait en son nom, tous se retranchent derrière sa protection et enfin, tous s’effacent devant sa toute-puissance; on l’encense et on le critique, on l’aime et le hait. Entre loyautés ostentatoires et déloyautés dissimulées de son entourage, son pouvoir reste absolue parce que sans contrôle, totale parce qu’exclusif. Finalement adroitement, la plupart du temps par perfidie, toutes les erreurs de son entourage et des technostructures sont mises à son passif.

Dr. André Camara

Juriste et politiste

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